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vrijdag 7 maart 2008

Scaphandre au pied bouilli


Il y avait du monde, à la Maison Descartes (Institut Français) d’Amsterdam ! J’aurais jamais cru que « Le scaphandre et le papillon » attirerait tant de gens. Des amis, des inconnus. Beaucoup avaient vu le film, certains avaient lu le livre qui, dix ans après sa première parution en France, sort en traduction néerlandaise. Et tous (ou presque) avaient été bouleversés par l’histoire, par cette incroyable ténacité d’un homme qui entend, voit, sent tout – et qui ne peut rien. Sauf cligner de l’œil gauche. Et écrire un livre dans sa tête. C’est inimaginable : travailler, puis mémoriser un chapitre après l’autre, pour les « dicter » ensuite des heures durant rien qu’en clignant de l’œil, lettre par lettre – cela tient du prodige. Encore plus si on tient compte de l’etat physique de cet homme : trachéotomie, sondes gastrique et urinaire…

Elle avait du mérite aussi, Claude Mendibil (« Je suis nègre de profession »), de capter ces chapitres lettre par lettre, de travailler pendant des mois dans cet hôpital triste de bord de mer, pénétrant dans l’intimité d’un homme, Jean Dominique Bauby, qui, en bonne santé, ne ressemblait en rien à celui qu’elle voyait, immobile, sur son lit ou dans son fauteuil roulant. Bon vivant, homme du monde, volage, superficiel, il aimait les femmes et les voitures de sport – le stéréotype du journaliste speedé mais doué, qui avait participé à toutes sortes d’aventures journalistiques (dont le Matin de Paris) avant de devenir rédacteur en chef d’Elle. Et ce qu’elle trouvait là, c’était un « légume », comme le (à tort) dans le jet set parisien.

Mon entrée, à la Maison Descartes, fut pour le moins remarquée. Boîtant sur mes béquilles, soutenue par des amis,Jacqueline en fauteuil roulant montant les marches (hautes !) sur le cul et me hissant de la même manière peu élégante sur l’estrade où j’allais conduire l’interview de Claude Mendibil… Enfin, c’était une façon comme une autre de m’adapter à la situation. On parle d’un grand handicapé ? Je m’y prépare en me créant un petit handicap, temporaire de surcroît, en renversant habilement une marmite d’eau bouillante sur le pied gauche. Ce pied cuit au bain marie (pied bouillu, pied foutu…) m’avait permis de revoir le service des Urgences d’un grand hôpital parisien. Afin de me remettre en mémoire que l’hôpital, ça consiste en grande partie à attendre. Attendre qu’on veuille bien s’occuper de vous, qu’on daigne vous donner des explications, qu’on vous traite en adulte.

Tout cela, il l’a décrit, Jean Dominique Bauby. Ses observations ne sont guère tendres pour le milieu hospitalier. Médecins, infirmiers et autres auxiliaires médicaux : la plupart de ceux qui peuplent son livre sont compétents sur le plan technique, certes, voire savants, mais sur le plan humain il y a beaucoup à redire. Comme cet ophtalmo qui lui recoud la paupière droite en racontant ses vacances de ski en guise d’explication. Ou comme cet « abruti d’infirmier » qui éteint la télé au milieu d’un match de foot, en lançant un « bonne nuit ! » sans réplique possible. En admettant qu’on soit en état de répliquer… Echappent à ce tableau sombre, outre des infirmières dévouées, la kinési, Brigitte, et surtout l’orthophoniste, Sandrine.

C’est elle, Sandrine, qui lui apprend, à Jean Do et à son entourage – et à Claude – de se servir de cet alphabet « e-s-a-r-i-n-t-u-l » qui commence par les lettres les plus fréquentes et termine par les moins usuels. « E-s-a… », on l’entend tout au long du film de Julian Schabel, et du documentaire de Jean Jacques Beneix. Et cela va étonnamment vite à la fin, d’autant que les familiers du malade – et Claude en particulier – finissent par deviner bon nombre de mots avant qu’ils ne soient entièrement épelés. On voit – on le lit aussi, entre les lignes – qu’entre Jean Do et Claude s’installe une amitié, voire « un amour, puisque c’est cela que vous voulez m’entendre dire… » Qu’elle le veuille ou non, il lui fait partager son intimité, se livre à elle corps et âme. Elle essuie sa salive, aspire sa trachéotomie, lui essuie le front. Il lui « raconte » sa vie privée, puis s’enquiert de ce qu’elle fera le soir, quand elle aura quitté l’hôpital. Ce furent deux, trois mois très intenses.

Et puis, le travail est fini, Jean Do est transféré à Paris et tombe victime d’une infection qui fait que Claude n’a pas le droit de le revoir. Il est mort dix jours après la parution du livre. Elle n’a pas pu lui faire ses adieux. Le chagrin lui est resté. Et, tout de même, le souvenir de cette histoire d’« amour ».

Zie ook http://jacqwess.blog.lemonde.fr/

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